Données et IA : tendances 2024 dans les territoires
La transformation numérique des collectivités territoriales s’accélère, avec des usages de la donnée et de l’intelligence artificielle (IA) de plus en plus fréquents. Pour autant, ce progrès s’accompagne de défis majeurs, notamment en termes de gouvernance, de formation, d’éthique et de cybersécurité. Retour sur les grandes tendances de 2024, révélées par la note de conjoncture “Data, intelligence artificielle et cybersécurité dans les territoires” présentée le 12 novembre dernier au Hub des Territoires, et sur les échanges tenus lors du forum “Comprendre et maîtriser l‘IA : déjà un enjeu d‘actualité pour les communes et les EPCI” du 106e Congrès des maires et des présidents d’intercommunalité de France.
💡La note de conjoncture Data, intelligence artificielle et cybersécurité dans les territoires réalisée par le Groupe La Poste et la Banque des Territoires, s’appuie sur les résultats des travaux de l’Observatoire Data Publica. Cette 3e édition de leur baromètre dédié au monde territorial relate les résultats d’une enquête conduite durant les mois de juin et juillet 2024 auprès de 289 collectivités et établissements publics locaux, constituant un panel représentatif. Pour 2024, l’enquête a été doublée d’un sondage auprès des Français réalisé par l’Institut Ipsos pour l’Observatoire.
Tous les chiffres cités dans cet article sont issus de cette note de conjoncture.
L’essor du pilotage par la donnée au service de la transition écologique dans des collectivités de plus en plus acculturées
Les données jouent un rôle crucial pour répondre aux enjeux des territoires. 59% des collectivités de plus de 3 500 habitants ont déjà expérimenté un projet de gestion par la donnée ou prévoient de le faire en 2025, en matière d’administration et de gestion interne. La maîtrise de la donnée constitue un levier essentiel pour répondre aux enjeux environnementaux selon 92% des collectivités de même rang et 73% voient dans les données un levier pour l’amélioration de la qualité de service public. En bref, les collectivités se saisissent de plus en plus du potentiel des données, en cohérence avec les compétences de chacun des statuts juridiques, notamment pour piloter les politiques relatives à la transition écologique (environnement, énergie, éclairage, mobilités, etc.).
Plus largement, en considérant l’utilisation des données, les collectivités citent en priorité :
- L’amélioration de la qualité des services (73%)
- L’amélioration de la transparence et de l’information aux citoyens (59%)
- L’amélioration du pilotage et de l’évaluation des politiques publiques (56%)
- La réalisation d’économies budgétaires (45%)
D’après les résultats de l’enquête, 2024 semble aussi signer l’entrée dans l’âge de la maturité territoriale en matière d’utilisation des données. Le niveau de la culture data monte : 53% des collectivités de plus de 3 500 habitants considèrent que le niveau d’acculturation est bon ou correct, contre 46% en 2023 et 40% en 2022. Le sujet data est particulièrement identifié dans les ‘grandes’ collectivités (départements, métropoles). Cette augmentation du niveau d’acculturation n’est pas sans lien avec l’évolution très positive du nombre d’expériences et de projets d’une part, et de l’offre de formation sur ces sujets offerte par les différentes associations d’élus d’autre part.
Cependant, ces ambitions s’accompagnent d’une nécessité de structurer la gouvernance des données, via des guides de gestion interne, des clauses contractuelles avec les prestataires, ou encore des chartes de la donnée. Seuls 31% des collectivités de plus de 3 500 habitants déclarent s’être dotées de tels documents.
💡Nous sommes régulièrement amenés à intervenir sur des missions liées à la donnée en lien avec les collectivités.
En début d’année, Thomas Menant, associé Numéricité et juriste a accompagné le Conseil départemental de la Meuse dans la construction d’une stratégie data appuyée sur une organisation orientée donnée.
Thomas a également été retenu comme expert pour la Commission numérique, data et IA de Départements de France. Il accompagne cette association nationale d’élus départementaux dans la mise en oeuvre de sa stratégie data, notamment avec la conception d’un outil partagé de recueil, de partage et d’observation des territoires départementaux.
Une IA de confiance : promesses et questionnements
“L’ampleur des risques est à la hauteur de l’ampleur des opportunités.” C’est avec ces mots – rédigés avec l’assistance d’une intelligence artificielle – que Patrick Molinoz, maire de Vénarey – Les Laumes (21) et co-président de la commission Numérique de l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF) a introduit le forum consacré à l’intelligence artificielle (IA). L’IA, bien qu’encore perçue avec prudence, progresse dans les territoires : alors qu’il n’y avait qu’une cinquantaine de projets locaux mobilisant l’IA à la mi-2023, il y en plusieurs centaines un an après. Plus d’une collectivité sur deux (51%) affirme avoir déjà mis en place ou testé un système d’IA (36%) ou annonce vouloir le faire en 2025 (15%). La progression de l’utilisation touche l’ensemble des collectivités, avec une croissance notable dans les communes entre 3 500 et 10 000 habitants (14% contre aucune en 2023).
Ces initiatives concernent divers domaines, à commencer par l’administration et la gestion interne (29%), l’environnement (14%), la mobilité (12%), les déchets (12%) ou la sécurité (12%). Lors du forum, des collectivités ont témoigné d’expériences en cours concernant la mobilité grâce au scrapping des données de Waze. Des expérimentations qui pourraient être appliquées à d’autres secteurs en s’appuyant sur les données produites par les smart cities et susceptibles d’être pilotées par l’IA.
Force est de constater que, malgré l’engouement pour les IA génératives, celles-ci ne représentent qu’une fraction des usages. Les systèmes prédictifs, par exemple pour la gestion des cantines, illustrent des applications plus pragmatiques. Ou encore les expérimentations conduites par certaines collectivités afin de modéliser le parcours des bénéficiaires d’aides sociales et identifier les non recours.
Par ailleurs, la mise en œuvre de l’IA nécessite de répondre à des questions clés :
- L’IA est-elle utile et soutenable (environnementalement et économiquement), d’autant plus au regard de la trajectoire obligatoire en matière de numérique responsable ?
- Peut-on faire confiance à ses résultats (biais, supervision) ?
- Est-elle capacitante pour les agents, renforçant leur efficacité et leur qualité de travail ?
En effet, il y a un nécessaire effort de formation et d’acculturation des agents à l’IA : ce n’est pas un outil numérique anodin. Les collectivités ont partagé lors du Forum le constat du manque de compétences, de temps, de moyens financiers et des lacunes dans l’offre de formation. Certaines sont néanmoins pionnières en la matière, à l’instar de Paris Saclay, qui a mis en place une stratégie ambitieuse reposant sur la formation des élus et des agents, l’acculturation collective et le déploiement stratégique. Cette démarche illustre l’importance d’accompagner le changement, en associant expertise interne et externe, et en investissant dans le temps de formation.
💡Nous avons perçu l’attention et l’intérêt des collectivités pour l’intelligence artificielle au détour de sollicitations pour des interventions, notamment sous le prisme de la gestion des personnels.
Thomas Menant est intervenu lors du colloque annuel de l’Association nationale des directeurs de ressources humaines des territoires sur la manière d’intégrer ces technologies de manière responsable, tout en préservant la relation humaine. Il a fait l’éloge de la lenteur en mettant l’accent sur le fait que l’IA ne doit pas venir transposer, voire dissimuler, des pratiques, usages, coutumes, lourdeurs dont on a oublié les raisons profondes.
Il est également intervenu lors d’une conférence à l’initiative du Conseil départemental du Puy-de-Dôme, à destination des agents, afin d’ouvrir la réflexion sur les impacts de l’intelligence artificielle et les grandes transformations qu’une telle technologie peut engendrer.
D’autres interventions sont prévues en cette fin d’année, pour la Conférence régionale pour l’emploi territoriale Pays de la Loire et l’agglomération Pau Béarn Pyrénées.
Si l’IA et la gestion des données offrent des opportunités inédites, elles nécessitent une approche équilibrée, tenant compte des limites techniques, des enjeux éthiques et des impacts environnementaux. En 2024, les collectivités se trouvent à un carrefour : celui d’une transformation numérique ambitieuse mais exigeante, où la donnée et l’IA sont des outils, et non des fins en soi. Alors que les cyberattaques se multiplient et touchent particulièrement les collectivités, le succès de la transformation numérique dépendra de la capacité des territoires à former leurs équipes, sécuriser leurs infrastructures et piloter les projets avec une vision éthique et inclusive.