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Dans les coulisses d’une mission “data for smart city” : interview de Mathilde Bras

De septembre à décembre 2021, Numéricité a accompagné la Ville de Bruxelles dans l’élaboration de sa stratégie data, un des chantiers du plan BXL 20/21. Une mission menée en collaboration avec Public Digital, avec qui nous échangeons depuis plusieurs années et partageons des valeurs communes. Le projet a été mené en 13 semaines, aboutissant à des recommandations proposées par l’équipe de consultants et notre volonté de continuer à travailler avec Public Digital à l’avenir.

Côté Numéricité, nous avons mobilisé notre experte Mathilde Bras. Investie pour le numérique d’intérêt général depuis près de 10 ans, Mathilde intervient aujourd’hui auprès d’acteurs publics, privés et associatifs, notamment sur leur stratégie data. Elle est à l’origine de cette mission co-menée avec Public Digital et revient avec nous sur les temps-forts du projet et ses enseignements.

De la naissance de la collaboration avec Public Digital jusqu’au bilan et réflexions sur les perspectives à venir, voici le premier épisode de notre entretien en tout intimité avec Mathilde Bras, experte Numéricité.

 

De la rencontre à la collaboration

Public Digital est une entreprise créée en 2015 par Mike Bracken, ancien directeur technique des services numériques du gouvernement britannique. Cette agence de transformation numérique œuvre dans un certain nombre de secteurs qu’ils soient privés ou publics, nationaux ou internationaux. Pour Mathilde, qui connaît les équipes depuis plusieurs années, c’est d’abord l’histoire d’une rencontre professionnelle. 

“Je connais Public Digital depuis près de 5 ans. J’ai rencontré les équipes en 2019 à l’occasion d’un sommet international du Partenariat pour un gouvernement ouvert au Canada. Public Digital y animait un atelier autour de la question suivante : comment transformer les agents publics en agents de politiques publiques ouvertes. L’idée de l’atelier était d’explorer les modes d’inclusion personnes de l’extérieur – les citoyens et usagers – à la construction des services publics. J’y participais dans le cadre de mon ancienne mission à Etalab, mon rôle était de développer les initiatives de “gouvernement ouvert” et d’innovation ouverte au sein de l’administration française. Les enjeux d’ouverture de l’administration sont multiples, quelques-uns qui faisaient partie de mon quotidien :t : ouvrir les données et les codes sources, ouvrir le recrutement à des profils techniques, ouvrir la manière dont les décisions se prennent, via des dispositifs de démocratie participative par exemple. J’ai beaucoup aimé la méthode et l’énergie des équipes de Public Digital durant l’atelier. A la fin du sommet, on avait discuté ensemble de potentielles collaborations”.

 

La naissance du projet Bruxelles 

Nous avons repris contact avec Public Digital au cours de l’été 2021. Emily et Claire (qui travaillent à Public Digital) me racontent que depuis quelques temps, Bruxelles développe une stratégie smart city mais a besoin de renforcer la dimension data de ce projet. Dans le cadre d’un projet financé par la fondation Bloomberg Philanthropies, certains agents de la ville de Bruxelles avaient auparavant suivi des formations (sur-mesure, spécialisées entre autres pour les collectivités) dispensées par la Harvard Kennedy School, école très réputée pour former notamment des agents publics partout dans le monde. A la suite de ces formations, l’adjoint élu de la ville de Bruxelles chargé du développement économique et de la smart city, s’est dit qu’il y a avait un vrai sujet. Depuis plusieurs années Bruxelles se concentre sur la smart city, mais pour construire une smart city il faut disposer des briques fondamentales dont la donnée fait partie ! On le voit bien avec le projet de développement du Self data de La Rochelle : les données, quand elles sont mises au service de la collectivité, permettent d’analyser les usages des mobilités douces, puis de définir ce sur quoi on devrait investir plus. Par exemple, pour des pistes cyclables à tel ou tel endroit en fonction des usages détectés.

Les “mobilités douces” renvoient à un terme souvent utilisé dans les projets autour de l’écomobilité (ou mobilité durable) et de la smartcity. Il s’agit des modes de transports à moindre impact environnemental, qui font appel à la seule énergie humaine. Par exemple : le vélo, la trottinette, le covoiturage ou tout simplement la marche. Le but est de réduire la dominance de certains transports comme la voiture ou le bus mais aussi de réduire les émissions de CO2. 

Depuis quelques années, les missions d’innovation durable se sont multipliées dans les grandes villes, avec la création de nouveaux services pour accompagner les projets. Dans ce type de programmes, la data a un réel intérêt : non seulement sa lecture aide à comprendre l’impact environnemental des modes de transports, mais permet également de décider des dispositifs à mettre en place réduire ces impacts. 

En 2020, la ville de Bruxelles a de nouveau fait appel à la fondation Bloomberg Philanthropies pour disposer d’un financement afin de pouvoir être accompagnée dans la construction d’une feuille de route data. Document essentiel dans un projet data, la feuille de route permet de dessiner les premiers contours des stratégies à adopter et partager les objectifs et actions à mener. Public Digital est ainsi mandaté pour cette mission et en parle à notre experte. Alors, quand Mathilde entend parler de cette mission, elle pense tout de suite à une collaboration entre NumériCité et Public Digital. 

Je me suis dit que cette mission avait du sens aussi bien pour NumériCité que pour Public Digital. Cela faisait longtemps que les deux entreprises souhaitaient travailler ensemble et je travaille beaucoup sur des stratégies data dans le cadre de mes missions chez NumériCité. J’ai saisi une double opportunité : celle de nous faire travailler ensemble mais aussi celle d’enrichir l’activité de NumériCité sur des missions de conseil en stratégies data et d’en constater aussi la valeur à long terme. En effet, en avril 2021, nous avions été mandatés par la Direction du numérique du Ministère du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion (MTEI) pour accompagner les équipes à élaborer une feuille de route data & IA venant répondre à la demande du Premier ministre. Public Digital a répondu à un appel d’offre de Bloomberg Philanthropies sur la base d’une expression de besoins qui avait été construite avec Bruxelles. L’agence ayant remporté cet appel d’offre, NumeriCité est devenu sous-traitant de Public Digital pour cette mission. 

 

De “la ville du quart d’heure” à “la ville à 10 minutes” 

Le projet BXL20/21 a été notre base politique pour comprendre les chantiers en cours au sein de la ville de Bruxelles”. L’un des grands axes du projet est le concept de ville à 10min. Ce concept très à la mode prône une organisation de la ville (grande métropole ou ville moyenne) faisant en sorte que les citoyens aient à proximité de leur habitat et/ou de leur travail, accès à la plupart des équipements publics essentiels : écoles, crèches, parcs, terrains de sports, lieux de médiation sociale, etc. Il combine les concepts de milieux de vie complets et de ville polycentrique. “A Paris c’est la ville du quart d’heure et pour Bruxelles c’est la ville à 10 minutes ! Le maire de Bruxelles est très attaché à la réalisation de cette ambition et souhaite que les projets de la ville soient réfléchis en ce sens.

 

Conjuguer la Méthode NumériCité à celle de Public Digital 

Sur quel modèle s’est basé la mission ? Comment les rôles étaient répartis? Mathilde nous l’explique ainsi : “Pour comprendre comment a fonctionné cette mission, il faut regarder les autres missions egov chez NumériCité. C’est exactement le même modèle que toutes les missions que l’on fait pour les pays étrangers. Il y a une commande politique (ici la ville de Bruxelles), un bailleur public ou privé qui finance le projet (ici le bailleur est privé : Bloomberg Philanthropies) et ensuite des personnes sont mandatées (ici Public Digital et NumériCité)”.

La Fondation Bloomberg finance de nombreux programmes d’innovation des Villes, notamment pour accélérer leur transition écologique et lutter contre le réchauffement climatique. Mathilde l’affirme, il y avait un vrai intérêt à travailler sur l’un de leurs projets”. Dans la méthode de Public Digital, il y a beaucoup de structures et de “frameworks” (méthodologies et schémas pour guider des réflexions sur une transformation), dans la nôtre, beaucoup d’ouverture et d’agilité. Alors quand on mélange les deux, ça fonctionne : “la méthodologie adoptée pour cette mission était celle de Public Digital, à laquelle nous avons incorporé l’agilité qui nous caractérise chez NumériCité. Avoir le réflexe de schématiser, “frameworker” davantage m’a aidée à apporter mon expertise et articuler mon rôle avec celui du reste de l’équipe de la mission. J’ai beaucoup apprécié travailler sur cette mission parce que la nature de ce qu’on devait produire était assez claire. J’ai souvent besoin de structure, car cela me donne ensuite place pour créer. Et le conseil c’est de la créativité !”.

 

13 semaines, 3 mois, 3 étapes 

La particularité de cette mission est qu’on était une équipe cœur de 3 personnes :

  • Une directrice de mission
  • Un designer product manager
  • Et moi, pour l’expertise data

 

En fonction des besoins, nous étions appuyés par deux autres personnes : une data scientist et une associée de Public Digital qui faisait le lien avec toutes les parties prenantes. Avec notre petite équipe, nous avons rapidement pu effectuer les 3 grandes étapes de notre mission :

  1. Un diagnostic, le but étant d’atterrir sur un rapport d’évaluation de la maturité data de Bruxelles ;
  2. La priorisation des verticales de la feuille de route afin de les creuser avec nos interlocuteurs et d’autres parties prenantes (directions métier, des profils techniques, etc.) ;
  3. La rédaction commune de la feuille de route. D’ailleurs, on ne sait pas encore quand la feuille de route sera publiée car, comme toutes les administrations, il faut aligner la feuille de route data avec la feuille de route smart city.“

Et le tout en un temps record : “avec un timing très serré, nous avons décidé de ne pas avoir une vision trop globale de la stratégie. En travaillant sur la mission, on leur montrait la méthode à suivre : les ateliers, l’écriture collaborative et d’autres trames pour travailler sur d’autres thématiques. Lorsque la mission Public Digital / NumériCité a débuté, une équipe issue de la Direction de l’urbanisme de la Ville travaillait déjà sur la cartographie du futur visage de la ville. Nous nous sommes donc engagés dans une démarche ouverte et collaborative d’intégration de l’équipe en gardant à l’esprit l’idée de définir une feuille de route à 2 ans, tout en dénichant les projets concrets à enclencher pour faire preuve de concept ou obtenir des 1ers impacts tangibles. Nous avons déterminé 4 axes de recommandations :

  1. Créer de nouveaux rôles et un système de gouvernance avec des responsabilités claires pour veiller à la mise en œuvre de notre stratégie de données ;
  2. Expérimenter de nouveaux processus et méthodes de travail à travers quelques projets emblématiques avant de les généraliser ;
  3. Améliorer la qualité et l’interopérabilité des données à travers les départements de la Ville ;
  4. Donner à nos agents la possibilité de gagner en compétence sur les sujets relatifs aux données.

 

Participation active, ouverture et partage : les clés d’une mission réussie ?

En tous les cas, c’est ce qu’on a compris en discutant avec Mathilde. Pour qu’une mission conseil en stratégie data soit réussie, il est important de standardiser les pratiques mais surtout de s’ouvrir au partage de ces pratiques. L’ouverture est un mot qui nous parle chez NumériCité, étant friands des méthodes agiles. “Il faut que la stratégie data soit très horizontale, très partagée parce que la réussite d’un projet dépend de la mise en place d’une communauté de pratiques, en valorisant les personnes qui font déjà des choses. Pour Bruxelles, c’était le cas ! Dans tout projet de transformation, le sponsorship est important. On a besoin d’un décideur encourageant pour que le projet se mène à bien. Ce que j’ai aimé durant cette mission, c’est l’implication de l’échevin (NDLR : équivalent belge de l’adjoint au maire), qu’on a pu rencontrer deux fois en trois mois. D’abord à mi-parcours, pour lui présenter le projet et valider avec lui les axes de la feuille de route pour la suite de la mission : tous les acteurs (techniciens, architectes, agents, etc.) ont pu le rencontrer et pitcher leurs travaux. Ensuite, lors de la restitution de la feuille de route, proposée auprès de toutes les personnes qui avaient participé de près ou de loin à la mission. Il a été très à l’écoute de nos recommandations et y a apporté de la visibilité”. 

 

Mission internationale et gymnastique linguistique

La mission réalisée auprès de Bruxelles, comme toute autre mission, a été l’occasion de travailler avec des équipes aussi diversifiées que polyglottes, mais qui comprennent toutes les enjeux à l’oeuvre. Des réunions bilingues aux livrables en anglais, en passant par une réflexion sur la mobilité bruxelloise, Mathilde le confirme : “c’est toute une gymnastique linguistique qui s’est opérée. Mais c’est important de s’imprégner de la culture de chacun, notamment dans un environnement professionnel différent. J’ai vraiment aimé travailler en anglais et penser en anglais. C’est une langue très pratique ! Cela m’a permis de structurer mes pensées différemment, ce qui m’a beaucoup aidé pour la réalisation des livrables”.

 

Bilan de la mission et ses enseignements

Une mission de conseil sur des projets qui évoluent constamment permet à nos experts de tirer des enseignements qu’ils appliqueront à de futurs projets. Pour Mathilde, c’était le manque de data : “ce qui m’a manqué dans la mission est le fait de ne pas avoir réellement vu des données. On a beaucoup parlé de stratégie, d’organisation, de rôle et de recrutement mais peu des données elles-mêmes. Pour de futures missions, j’aimerais explorer davantage de cas d’usages de la donnée avec la société civile par exemple. Sur ce type de projet, je pense que c’est toujours important d’ouvrir une réflexion à d’autres personnes qui, soit vont en bénéficier, soit ont déjà eu des idées d’amélioration. Pour la ville de Bruxelles, nous avons travaillé sur des exemples structurels durant les différents ateliers menés”.

Mathilde retient également de cette mission la nécessité de travailler sur le terrain, de s’imprégner des méthodes de travail d’une équipe : “nous étions effectivement dans une mission où il fallait capter l’organisation des équipes et des services mais aussi proposer des nouveautés. C’est très important de “capter physiquement” comment ça se passe, comment les bureaux sont agencés, comment les gens travaillent, parce que c’est aussi ce qui peut être déterminant dans la manière de développer une stratégie et des transformations d’organisations. J’aime travailler sur le terrain ! Malheureusement, la crise sanitaire nous a empêché de nous rendre sur place, tant au début pour explorer qu’à la fin pour se féliciter. Notre sujet est sur les données pour la smart city : pour ça j’ai besoin de comprendre à quoi ressemble une ville, de m’y rendre pour me rendre compte des principales difficultés en termes d’usages. L’idée est d’améliorer le bien-être d’une ville en termes de mobilité, d’équipements, de services publics, de bien respirer, de se sentir bien grâce à un bon usage des technologies, mais pas que, bien sûr. C’est une mission humaine, pour aider les citoyens, on a besoin de contacts humains ! Autrement, même à distance, la méthode a très bien pris. Nous avons donc “composé”, entre des temps de push sur des étapes des projets mais aussi des temps de discussions avec les équipes où nous répondons leurs questions”.

Un point positif, et non négligeable, de cette mission, est d’avoir étendu l’expertise de NumériCité : “nous avons beaucoup travaillé sur la stratégie data de ministères, mais désormais nous savons faire une stratégie data d’une ville ! Avec La Rochelle, nous travaillons sur un projet, avec Bruxelles, nous avons travaillé sur de la stratégie pure, et nous avons pu étendre nos compétences”. 

 

Un projet intéressant personnellement 

Cette mission était l’occasion pour Mathilde, de nourrir sa créativité et sa curiosité : “à la fin de cette mission, nous avions envie d’aller plus loin. J’ai trouvé intéressant de fournir aux équipes des recommandations bonus sur les nouvelles tendances dans le numérique, par exemple sur les régulations ou le numérique responsable. J’ai pu aussi développer des réflexions autour du projet, m’ouvrir sur d’autres problématiques. Avec Public Digital, nous avons échangé sur des sujets qui étaient moins identifiés au départ. Quand j’arrivais à atteindre mes objectifs, j’avais du temps pour faire des choses à côté. C’est ma qualité et mon défaut, quand je travaille sur une mission j’aime bien regarder un peu à côté !” 

 

Les enjeux numériques en devenir 

Mathilde évolue dans le monde de la transformation numérique depuis une dizaine d’années : nous lui avons donc demandé d’aller un peu plus loin, et de nous expliquer comment elle envisage l’utilisation des outils numériques dans l’amélioration des services et des sociétés en général.

“Il n’y a pas assez de temps pour parler du numérique en général et de ses enjeux. Je travaille dans le numérique et le numérique d’intérêt général depuis que j’ai fini mes études. Ma vision du numérique est assez banale : ce n’est pas une fin en soi ! Je suis très attentive au fait qu’on a beau aimer la technologie, il faut aussi essayer de la comprendre. Pour cela, il faut “l’auditer” pour en adresser les risques et les bénéfices. Mais si on parle du numérique public, je pense qu’il est du devoir de l’État d’être un exemple sur la façon dont on utilise le numérique. C’est pour cela que NumériCité a du sens : les membres du pôle conformité font en sorte que les projets numériques développés par l’Etat aient une hygiène à peu près correcte dans l’utilisation des données personnelles. C’est pour ça aussi que nous développons du code efficace et respectueux de ces enjeux et qu’au sein du pôle conseil, l’écoute et l’ouverture sont privilégiées. Je crois beaucoup au numérique coopératif, à la culture de la décentralisation, et à l’innovation qui donne des capacités aux autres. Le numérique peut, et doit, être donneur de capacités et non pas limiteur de capacités. C’est pour ça qu’il faut accepter que certaines choses doivent changer. Dans le système éducatif par exemple, il serait pertinent d’intégrer des cours d’éducation aux médias”.

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